jeudi 8 novembre 2007

La France dans l’Union européenne : réseaux, influence, action

La victoire du non (54,68%) au référendum pour le traité constitutionnel européen a plongé la France et plus largement l’Union européenne dans un blocage institutionnel et politique. Le deuxième mandat de l’ancien président Jacques Chirac a été marqué par un faible leadership et par une multiplication des conflits avec ses partenaires européens qui ont eu pour conséquence l’isolement de la France. L’Union européenne est dans une impasse et certains voient dans l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy la possibilité de relancer l’Europe et de redonner à la France son rôle moteur historique dans la construction européenne, notamment avec la proposition d’un « mini-traité » pour une relance institutionnelle de l’UE.

  • La France dans l’UE : un pilier économique, politique, démographique et militaire

1) un pilier économique : La contribution au budget de l’UE de chaque pays est fonction de la richesse et de la taille du pays. La France est le deuxième contributeur net au budget de l’Union européenne (16,43% du budget 2006) derrière l’Allemagne (20,56%). Viennent ensuite , l'Italie avec 13,70 % et le Royaume-Uni avec 12,36 % (correction britannique, depuis l'accord de Fontainebleau de 1984, comprise).


2) un pilier politique et diplomatique : La France possède 78 sièges au Parlement sur 785 soit un pourcentage de 9,93% du total des sièges et 29 voix au Conseil soit 8,41%. Ces chiffres vont se transformer notamment avec l’accord trouvé à Lisbonne les 18 et 19 octobre dernier sur le « traité simplifié ». Dès la nouvelle legislature en 2009, la France aura 74 sièges au Parlement sur un total de 750 ce qui ramène à 9,86% du total des sièges. Par contre, la France du fait de sa force démographique bénéficiera d’une revalorisation de sa position au Conseil grâce au système de double majorité[1] qui devrait être mis en place en 2014.

Diplomatiquement, même si on est loin de la période où la France a présidé pendant 10 ans la Commission avec Jacques Delors (1985-1995), elle maintient toujours une forte présence diplomatique en placant ses fonctionnaires européens à des postes stratégiques :


Organe

Noms des personnalités françaises

Fonctions






Commission

Jacques Barrot

Vice président, chargé aux transports



Hervé Jouanjean

Secretaire général adjoint






Directeurs généraux

Jean-Luc Demarty

agriculture


Odile Quintin

culture et éducation


Robert Verrue

fiscalité et union douanière


Hérvé Carré

Eurostat


Claude Chêne

Personnel et administration


Michel Petit

Service juridique, dirige les travaux de rédaction du traité simplifié






Conseil de l'UE

Pierre de Boissieu

Secretaire général adjoint



Jean-Claude Piris

Chef du service juridique






BCE

Jean-Claude Trichet

Président


Comité militaire de l'UE

Général Henri Bentégeat

Président


Comité des Régions

Michel Delebarre

Président



3) une puissance démographique : la France avec 63,8 millions d’habitants est le deuxième pays le plus peuplé de l’UE derrière l’Allemagne (82,4 millions). La France rassemble 14,3% de la population de l’UE.


4) une puissance militaire : la France est la deuxième puissance militaire dans l’UE derrière la Grande Bretagne. Ils sont les deux seuls pays de l’UE à posséder l’arme nucléaire.


  • Le couple franco-allemand

Difficile d’évoquer la France dans l’UE sans évoquer l’Allemagne car la France et l’Allemagne sont historiquement le couple moteur de la construction européenne, tandem institutionnalisé par le traité de l’Elysée de 1963.

- Konrad Adenauer et Charles de Gaulle (1958-1963)

- Willy Brandt et Georges Pompidou (1969-1974)

- Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981)

- Helmut Kohl et François Mitterrand (1982-1995)

- Gerhard Schröder et Jacques Chirac (1998-2005)

- Angela Merkel et Nicolas Sarkozy (2007- ?)

Angela Merkel qui mène une politique étrangère active et décomplexée de son passé s’éloigne de la position traditionnelle de soutien à la politique française. La chancelière allemande cherche à se distancier du couple franco-allemand et tente d’asseoir une nouvelle influence sur ses partenaires européens. On est loin du couple Schröder et Chirac qui avait fait bloc lors de la crise irakienne, contre leurs partenaires européens. Aujourd’hui l’Allemagne est agacée par l’attitude du président français notamment lors de la crise des infirmières bulgares ou lorsque Nicolas Sarkozy critique unilatéralement la politique de l’euro fort de la BCE pour qu’elle fasse en sorte de réduire la valeur de l’euro pour faciliter les exportations françaises. D’un point de vue personnel et diplomatique donc, le couple franco-allemand incarné par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ouvre une nouvelle période pour le tandem, qui de toute façon ne peut plus être l’élèment moteur de la construction européenne dans une Europe élargie.


  • La France et l’élargissement de l’UE

Entre 2004 et 2007, 12 nouveaux pays essentiellement de l’Europe centrale et orientale (PECO) ont intégrées l’UE. Cet élargissement est au fondement d’une évolution des rapports de force en Europe dans lesquels la France semble perdre son statut de moteur dans la construction européenne. Géographiquement d’abord, l’élargissement à l’Est éloigne la France du centre de gravité européen. Et diplomatiquement ensuite, l’UE ne peut plus fonctionner autour d’un couple moteur unique comme l’a été le couple franco-allemand. La France n’a plus le même pouvoir dans une Europe à 12 que dans une Europe à 27. Il est nécessaire pour la France de multiplier son influence aux autres pays européens. La France doit se tourner vers la GB pour les questions de défense, vers les pays de l’Europe du Sud pour une coopération renforcée avec le continent africain sur les questions d’immigration notamment. De plus, une politique énergétique ne se fera pas sans le soutien de certains pays influents de l’Europe de l’Est comme la Pologne. La France doit donc réfléchir à de nouvelles stratégies d’influence pour maintenir sa position dans l’UE. La question de l’élargissement à la Turquie et aux Balkans est aussi un futur enjeu pour Nicolas Sarkozy qui s’oppose à la candidature turque. Le président français veut dans cette thématique de l’élargissement créer un « comité des sages » pour dresser entre autre les frontières de l’Europe.


  • Les grands dossiers de la France

La France a incontestablement fait son empreinte sur l’architecture institutionnelle et politique de l’UE, et si de nos jours cette dominance de jadis semble irréversiblement érodée, Paris continue d’influencer et d’orienter la construction européenne, notamment à travers les grands dossiers qui lui tiennent à cœur.

1) L’Europe politique : regarder l’Europe comme une construction avec une finalité politique qui mène au-delà des aspects purement économiques, était toujours marquant pour la politique européenne de la France. Quand même ne faut-il pas oublier le dilemme qui était lui aussi toujours présent entre la volonté d’une leadership dans une Europe forte mais nécessairement plus fédérale, et la crainte de diluer, de perdre sa souveraineté et son indépendance dans une telle Europe. (Ce dilemme a été marqué d’une manière dramatique au référendum du 29 mai 2005). A ce dilemme s’ajoutent les difficultés à définir cette finalité ensemble avec les partenaires européens. Quelle Europe veut-on : une Europe à la française, à la britannique ou à l’allemande ?

2) L’Europe de la défense : incontestable puissance militaire européenne, la France a toujours voulu faire de l’Europe une Europe-puissance ou une Europe de la défense, prolongement de ses visions et de ses ambitions, « un des pôles dans un monde multipolaire », qui était toujours un point de tensions avec les partenaires plus atlantistes. Le lancement de la PESC et de la PESD avait comme mission aussi de contrebalancer la perte de poids de la France dans l’ère post-bipolaire contre une Allemagne émancipée et désireuse de redresser les équilibres continentaux. Malgré les avancés dans ce domaine et les succès français d’orienter l’action extérieure de l’UE (Congo, Darfour, RCA-Tchad), l’avenir de l’Europe de la défense reste incertaine. S’ajoute aussi tout naturellement la vision d’une Europe spatiale, porteuse des ambitions françaises dans l’espace, qui montre un bilan aussi ambigu (avec le succès de l’Ariane et avec les difficultés de Galileo notamment) que le reste du concept de l’Europe de la défense.

3) La politique agricole commune : unique politique incontestablement communautaire et prégnante dès le début sur la construction européenne, la défense des intérêts de l’agriculture française était toujours prioritaire pour la France. Deuxième exportateur des produits agro-alimentaires et dotée d’un leader particulièrement attaché à l’agriculture, la France de Jacques Chirac, désireuse de conserver ses privilèges et ses acquis en ce domaine, s’est naviguée peu à peu dans l’isolation à l’envers de ses partenaires européens. Nicolas Sarkozy, tout en restant défenseur des intérêts agricoles, se veut comme initiateur de la nouvelle réforme de la PAC, ainsi pouvant influencer les contours de cette dernière.

4) Le renouveau de la structure institutionnelle : la réforme institutionnelle rendue nécessaire à cause des futurs élargissements de l’UE n’était achevée que partiellement avec le traité d’Amsterdam et celui de Nice, et le refus du traité constitutionnel menaçait l’Europe des 27 d’une véritable crise institutionnelle. Le « mini-traité » (ou « traité simplifié/réformateur/modificatif ») proposé par le président Sarkozy avait pour but de rendre l’Europe plus efficace et plus flexible à l’intérieur comme à l’extérieur (présidence permanente, haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le nouveau système de vote à double majorité, l’extension du vote à majorité qualifiée, etc.), ce qui semble atteint après le sommet de Lisbonne du 18-19 octobre 2007. L’objectif de l’autre réforme importante de ces dernières années, celui de la coopération renforcée, était d’empêcher un éventuel blocage de l’UE en créant un groupe du « vouloir vivre ensemble » et un autre du « vouloir agir ensemble », tenant compte des différences entre les pays membres concernant leurs capacités et leur volonté de s’impliquer dans les projets de l’UE.

5) L’Europe sociale et culturelle : confrontée à son déclin dans les composantes de la puissance dure (« hard power »), la France s’efforce de mettre en jeux sa puissance douce (« soft power »), notamment en projetant son modèle sociale et culturelle sur l’Europe, constituant ainsi un bastion contre le néolibéralisme anglo-saxon et l’américanisation des cultures. Ses efforts restent tout de même fragiles compte tenu des problèmes d’adaptation du modèle social français à la mondialisation, mettant en cause l’exemplarité de ce dernier.

6) M. Sarkozy, lors de son discours du 27 août devant les Ambassadeurs de France, avait mentionné trois autres domaines qui seront aussi à l’agenda de la présidence française : la politique de l’immigration, la politique énergétique et la politique environnementale. La première étant inspirée par les difficultés réelles auxquelles les pays de l’Europe occidentale se trouvent confrontés à cause de la pression d’immigration des pays du Sud et les incontestables problèmes de l’intégration ; la deuxième désireuse d’ouvrir un débat général sur les futures sources énergétiques de l’UE ; la troisième faisant face aux problèmes très complexes comme la pollution, la soutenabilité de la croissance économique ou le changement climatique.

La France prendra la présidence de l’UE au deuxième semestre 2008. C’est l’occasion pour le président français de mettre en œuvre ses promesses de « retour de la France dans l’UE ». Mais pour être un modèle en Europe, la France doit d’abord prouver la viabilité de ses réformes économiques internes. Le président français doit aussi apprendre à jouer la carte du multilatéralisme pour ne pas se mettre ses partenaires à dos. Il y a un danger potentiel que l’éventuel irritation que pourrait avoir comme conséquence le « style Sarko », celui de l’ « hyperprésident » parmis certains partenaires européens, pourrait ramener la France dans l’isolement d’où elle vient de sortir.



[1] Le traité simplifié prévoit d'introduire à partir du 1er novembre 2009 un nouveau système de majorité qualifiée basée sur une double majorité : celle des États membres et celle des citoyens. La majorité qualifiée sera alors atteinte lorsqu'une décision réunira 55 % des États membres (avec un minimum de 15 États) représentant au moins 65 % de la population de l'Union.

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